"Tous mes rêves partent de gare d'Austerlitz".
Quand le présent n’est fait que de rêves.
Lorsqu’elles sont venues saluer le public qui s’était pressé nombreux dans cette salle de Lée, tous se sont levés pour applaudir les sept actrices de la compagnie « La Petite Auberge », venues interpréter la pièce de Mohamed Kacimi : « Tousmes rêves partent de gare d’Austerlitz ».
Les spectateurs ont été enthousiasmés par la remarquable performance scénique qui leur avait été offerte, à la fois par le sujet abordé, sa difficulté, sa dureté parfois, et par le jeu de chaque protagoniste qui a su rendre sa vérité à chaque moment de cette vie, leur vie.
Encore une fois, l’ACLAN nous a conduits vers une performance théâtrale en nous faisant découvrir la face grise de notre société. Nous plongeant dans l’univers carcéral avec sept femmes trimbalées par la vie. Chacune à son tour livrant le parcours chaotique qui fut le sien et dévoilant, au fur et à mesure leur univers, celui qu’elles ont contribué à mettre en place. Fait de basses réalités quotidiennes mais aussi de rêves livrés à l’imagination de chacune. Traduits par un langage qui leur est propre, qui prête à rire et à sourire, mais rêves qui ne résistent pas longtemps à la vacuité de leurs existences présentes. Une nouvelle arrivée viendra troubler l’ordre ainsi établi, les forçant à traduire leurs émotions par la grâce du génie créateur d’Alfred de Musset. Elles vont alors revisiter leurs vies et les magnifier dans le très beau tableau final qu’elles nous ont donné à admirer.
Si les rêves partent de Gare d’Austerlitz, comme il était dit dans le titre de cette pièce, c’est dans ce lieu glauque qu’elles partagent, qu’ils s’étiolent.
Photos
Dans une maison d’arrêt, des femmes sacrifient souvent leur promenade quotidienne pour quelques heures à la bibliothèque. Autour des bibliothécaires, Barbara et Fanny, se retrouvent, tous les jours, Rosa, Marylou, Zélie et Lily.
Un soir de Noël, elles ont quartier libre. Elles préparent la fête et les cadeaux qu’elles doivent envoyer à leurs enfants. Avant minuit, débarque une « primo arrivante » Frida, arrêtée pour l’enlèvement de sa fille, Alice. Elle a été dénoncée au moment où elle lui achetait la pièce d’Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour.
Frida est confrontée soudain à la réalité de l’enfermement, et ne supporte pas d’être séparée de son enfant. Les filles lui proposent alors de jouer une scène de la pièce de Musset, de la filmer clandestinement et de l’envoyer à Alice.
Cette pièce de Musset qui met en évidence la difficulté de l’amour, qui critique la religion et le pouvoir des hommes fera écho à leurs propres parcours et blessures.
Mêlant humour et tragédie, cette pièce dynamique et enlevée nous plonge dans la dureté de la prison et la complicité entre ces femmes. Même si elles sont tristes, désespérées, sans illusion, et en même temps d’une énergie débordante, même si elles s’affrontent et se chamaillent souvent, c’est la joie qui inonde le spectacle.
Note d’intention
Nous sommes toutes comédiennes amatrices depuis de nombreuses années et cette pièce nous a tout de suite attirées pour ses thématiques : un groupe de femmes en prison et le théâtre. Cette création, d’une grande justesse, est une réflexion douce-amère sur les conditions des détenues en même temps qu’un éloge de la puissance du théâtre.
Non seulement c’est une pièce qui décrit les conditions d’enfermement de ces femmes mais aussi, comment par l’imagination, le jeu et le théâtre, elles arrivent à se trouver des espaces de liberté, d’expression et d’échappées belles. La force du collectif et le pouvoir de la langue, vive et pleine d’inventivité, dessinent ainsi une perspective certes semée d’embûches, mais aussi d’espoir.
Nous avons aimé l’intimité, la pudeur, les rires et les larmes qui se succèdent sans cesse. Sans misérabilisme et avec beaucoup d’humour, ces femmes se racontent, se révoltent et réapprennent à être sensibles à l’humain, à la poésie, à la douceur. Cette pièce nous a attirées pour sa profonde humanité.
Donner la parole à ces femmes invisibles donne du sens à notre geste théâtral.
de Mohamed KACIMI
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